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- Pour écouter l'émission de radio  Planète Féministe, vous pouvez cliquer sur le lien ci-dessous ou aller sur la page "Ecouter l'émission" de ce site

https://audioblog.arteradio.com/blog/182081/emission-de-radio-planete-feministe#

 

 

  Sommaire de la page

 

1- Corps féminin, religion et société

2- Transmettre et repenser le féminisme

3- Femmes, journalisme et histoire

4- Le Deuxième Sexe

5- Les femmes et le sport

6- Les Garçonnes

7-

8-Le monde du travail, le pouvoir économique

9-

10-

                                                                              

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      Marie-Anne  JURICIC      

       Corps féminin, religion et société

 

“Le patriarcat a Dieu de son côté” écrivait Kate Millett en 1970 dans Sexual Politics (1). “Mon corps m'appartient” était l’affirmation scandée comme un cri de révolte et de liberté par les féministes des années 1970. Il s’agissait de se réapproprier son propre corps, sa propre jouissance dans une optique égalitaire contre la domination masculine et contre l’exploitation.

Si le corps est au centre de toute relation de pouvoir, le corps féminin constitue un enjeu social et politique considérable puisque la maîtrise et le contrôle de la fécondité restent avant tout un pouvoir non négligeable dans l’organisation des sociétés humaines.

 

Le corps est l’objet d’une construction sociale qui façonne la relation à soi et à autrui, et demeure par excellence le lieu de valeurs, de représentations, de signes et de fantasmes qui mettent en scène des enjeux sociaux et politiques. Toutes ces représentations corporelles fondent un ensemble d’idées, d’images, de symboles, d’émotions et de jugements de valeur qui dans toute culture servent non seulement à penser le corps mais aussi à le contrôler, ce qui a une incidence directe sur le statut social de chaque être humain.

 

Or les religions ont su saisir et exploiter à l’envi, l’enjeu que constituait le corps féminin via la sexualité et ont pesé comme une chape de plomb sur les femmes, en même temps qu’elles leurs apportaient consolation et aide. D’ailleurs l’intensité des liens entre religions et femmes confère une résonance particulière aux comportements religieux de ces dernières. Il existe, en effet des liens complexes de discipline et de devoir, de sociabilité et de droit, de pratiques et de langages, où le corps féminin joue un rôle fondamental.

Les tabous liés au corps féminin existent dans toutes les religions mais également dans tous les mythes (2) populaires et scientifiques (3), et s’expriment par la construction d’un lien entre “la Femme” et “la Nature” ressenti comme antinomique et antagoniste à la culture, et à l’ordre social, dans le but de légitimer le statut du sexe féminin. 

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 Deux questions centrales nous occupent ici :

- Quelle place le corps féminin occupe-t-il dans la religion?

- Comment et pourquoi les femmes passent-elles par le corps pour contester l’ordre patriarcal et le subvertir?

 

Paul, apôtre du christianisme du 1er siècle, considéré comme le fondateur de la morale conjugale et sexuelle chrétienne (4), prône une éthique de la continence pour lutter contre l’impureté car la sexualité constitue d’abord un mal et n’a d’autre justification que la procréation. La séduction féminine devient sacrilège. Paul intime aux femmes l’ordre de se soumettre à la coutume païenne du voile, mais il l’impose comme une nouvelle loi au nom d’une théologie de l’inégalité. Dans la première Épître de saint Paul aux Corinthiens, Paul explique au chapitre XI :

 

“ Tout homme qui prie ou qui prophétise, ayant la tête couverte, déshonore sa tête. Mais toute femme qui prie ou qui prophétise, n’ayant point la tête couverte d’un voile, déshonore sa tête; car c’est comme si elle était rasée. Que si une femme ne se voile point la tête, elle devrait donc avoir aussi les cheveux coupés. Mais s’il est honteux à une femme d’avoir les cheveux coupés, ou d’être rasée, qu’elle se voile la tête. Pour ce qui est de l’homme, il ne doit point se couvrir la tête, parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu, au lieu que la femme est la gloire de l’homme. [...] C’est pourquoi la femme doit porter sur sa tête, à cause des anges, la marque de la puissance que l’homme a sur elle. [...] La nature même ne vous enseigne-t-elle pas qu’il serait honteux à un homme de laisser toujours croître ses cheveux. Et qu’il est au contraire honorable à une femme de les laisser toujours croître, parce qu’ils lui ont été donnés comme un voile qui la doit couvrir ?”

Dévoilés, les hommes acquièrent le monopole de la relation immédiate avec Dieu alors que soumises au voile, les femmes doivent passer par l’intermédiaire des hommes pour accéder à Dieu, ce qui confère d’emblée un statut d’infériorité au sexe féminin. Cette prétendue infériorité est inscrite au sein même du corps féminin puisque même les cheveux des femmes deviennent “un voile qui la doit couvrir.” Le voile (vêtement) doit voiler le voile (cheveux) afin de bien couvrir la tête!

 

D’après le Coran, le voile était destiné à protéger les musulmanes des agressions sexuelles verbales et physiques (5) : “O Prophète! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des Croyants de serrer sur elles leurs voiles. Cela sera le plus simple moyen qu’elles soient reconnues et ne soient point offensées.”

 

Le voile islamique, à la fois objet de controverses et enjeu politique, recommandé dans le Coran, demeure le symbole de l’oppression des femmes et de leur enfermement physique ou en tant qu’objets sexuels. Le corps des femmes est menacé, surveillé, caché, entravé, jugé comme impur ainsi qu’infériorisé puisqu’il marque son incapacité d'être “décent” en public, de même qu’il est perçu comme dangereux car lié à la sexualité et au désir des hommes.

 

En réalité, comme le soulignait Françoise Héritier (6), la question fondamentale tourne autour de la filiation ou plutôt de la garantie de la filiation, donc de la sexualité. “ Dans toutes les sociétés patriarcales, les hommes partagent cette conscience plus ou moins douloureuse de ne pouvoir jamais être sûrs de leur paternité. De nombreux proverbes et plaisanteries rappellent que seule la maternité est sûre, car l’homme est en dehors de ce processus mystérieux qui se passe à l’intérieur du corps de la femme. Toutes les dures traditions patriarcales, en prônant la virginité et en prohibant la sexualité hors mariage, essaient de contrôler ce processus “incontrôlable”. [...] La loi islamique veille à ce que la femme, lieu d’engendrement, [...] ne soit arrosée par un autre homme (7).”

 

Cependant certains intellectuels critiques comme Kassem Amin (8) (1863-1908), réformiste musulman moderne, écrivait dès 1899 un essai intitulé : La Libération de la femme, dans le prologue duquel il affirmait :

 

“ Quant à la crainte de la séduction, qui est présente dans chaque ligne écrite (sur le voile), c’est le problème des hommes qui nourrissent une telle phobie; les femmes n’ont pas à s’en occuper. Ceux et celles qui craignent la séduction n’ont qu’à détourner le regard. [...] Pourquoi ne demande-t-on pas aux hommes de porter le voile ou de dérober leur visage au regard des femmes s’ils craignent tant de les séduire? La volonté masculine serait-elle inférieure à celle des femmes? L’homme serait-il plus incapable que la femme de se maîtriser et de gouverner ses passions? La femme lui serait-elle supérieure en tout cela, au point de permettre aux hommes, si beaux qu’ils soient, de montrer leurs visages aux femmes et d’interdire catégoriquement aux femmes de dévoiler les leurs, de peur de déchaîner la passion de l’homme et le voir tomber dans la séduction, si laide que soit la femme rencontrée?” 

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La théologie monothéiste a partagé la conviction du monde antique que les hommes demeurent le modèle de l’humain, les femmes étant déterminées par leur corps imparfait, pêcheur, et créées pour aider les hommes. Le texte biblique (9) indique que : “La femme est à l’origine du péché et c’est à cause d’elle que tous nous mourons [...] Cependant elle sera sauvée par sa maternité, à condition de persévérer dans la foi, l’amour et la sainteté, avec modestie”. Même si cette interprétation n’est pas reprise par les évangiles et par Jésus Christ, les Pères de l’Église la reprendront et marqueront le devenir des femmes au sein du christianisme.

Augustin fonde la subordination des femmes, non pas sur la différence sexuelle, mais sur sa création seconde. La méfiance envers les femmes, considérées comme plus faibles, plus faciles à séduire que les hommes renvoie les femmes à une image de femmes sexuelles tentatrices, or pour Augustin, le péché est lié à la sexualité et l’exaltation de la virginité s’accompagne d’une dévalorisation de la sexualité.

Le renvoi systématique des femmes à la sexualité, au corps sensuellement dangereux concède aux femmes un statut particulièrement insupportable, tiraillé entre Ève/séductrice et Marie/Sainte ou entre virginité et maternité.

 

Thomas d’Aquin, tout en reconnaissant l’égalité spirituelle argue que les femmes restent plus imparfaites que les hommes et que l’homme est principe et fin de la femme, comme Dieu est principe et fin de toute la création. Cette imperfection féminine résulterait de sa faiblesse corporelle, de sa place seconde par rapport au sexe masculin, de sa dépendance paternelle, maritale, ce qui expliquerait l’incapacité des femmes à recevoir le sacrement de l’Ordre. Les femmes ne peuvent pas avoir autorité sur les hommes, elles manquent de sagesse pour enseigner et risquent sempiternellement d’inciter les hommes à la concupiscence, à un point tel qu’elles ne doivent même pas parler en public car la voix humaine (10), en particulier celle des femmes, exerce une séduction si vive qu’elle suscite fascination et terreur (11). La séduction vocale, entre interdit, transgression et sublimation, n’a cessé d’être combattue et surveillée. Si la voix lie le corps et le langage, le son, la pensée et les émotions, la voix chantée s’incarne dans un corps sexué et sexuel. Or l’Occident chrétien a mis en avant le danger que représente la séduction vocale féminine, notamment dans les écrits des Pères de l’église. L’orthodoxie chrétienne recommande le silence des femmes à l’église (12) car leur voix est associée à la séduction, à l’ivresse, à la volupté, à la folie et au diabolique.

 

De même, selon le judaïsme orthodoxe, la voix d’une femme est une “distraction sexuelle”(13) ce qui permet de justifier qu’une femme ne puisse chanter devant un homme ou diriger l’office public.

Le salut devient possible et accessible qu’à condition que les femmes soient vierges et chastes ou qu’elles se rachètent par la reproduction. C’est ainsi que l’orientation ascétique va offrir aux femmes un salut et la possibilité de transcender leur sexe jugé incontrôlable, en se niant en tant que femme.

 

La pratique de l’ascétisme s’enracine dans le désir des mystiques d’élever leur âme, de se rapprocher de Dieu et de libérer l’âme du corps afin d’accéder à une indépendance des besoins corporels qui passe par le jeûne, l’abstinence sexuelle, voire les privations de sommeil, en fait toutes sortes de pratiques rigoristes surajoutées à un affaiblissement de la chair pour donner de l’espace à l’âme. Le corps n’est que limite et vulnérabilité puisqu’il ressent, désire, souffre et demeure mortel.

 

Le mysticisme féminin chrétien, vécu comme une communion spirituelle, intense avec Dieu et comme une expérience ineffable, s’accompagne de méditation, de prière et d’une discipline ascétique dont le but n’est autre que l’union avec Dieu.

 

Nathalie Fraise (14) en étudiant le jeûne mystique dans le christianisme et la situation des femmes au Moyen Age, apporte un nouvel éclairage au comportement énigmatique des femmes qui refusent la nourriture. Nous verrons que nombre d’entre elles décideront d’utiliser leur corps pour s’exprimer, ce corps auquel elles sont si souvent associées et qu’elles vont mortifier à l’extrême dans le dessein de prouver leur dévotion à Dieu en imitant ses souffrances sur la croix. La dévotion féminine est marquée par l’adoration, la souffrance auto-infligée, le jeûne extrême car la sainteté a un coût. Souvent le jeûne est tellement prolongé que de nombreuses mystiques en meurent.

 

L’époque médiéval est représentative de l’histoire de l’expression mystique des femmes car il existe de nombreux mouvements religieux officiels et non officiels, parfois majoritairement féminins, qui réclament des changements au sein de l’Église.

 

Dans le contexte social moyenâgeux, les femmes demeurent principalement liées à la famille , au mariage, et bénéficient de très peu d’autonomie et d'instruction. Le corps des femmes appartient aux maris qui sont en droit d’exiger d’elles rapports sexuels et descendance. Leur fonction éducatrice consiste avant tout à nourrir leurs enfants.

 

En même temps, si la pratique religieuse est capitale, incontournable, celle mystique reste très attrayante pour les femmes pour échapper à un destin pénible et éprouvant, d’autant que dans une société qui enfermait les femmes dans une essence féminine, protester de façon directe contre ce sort insupportable réservé aux femmes, aurait déclenché une réaction violente du pouvoir en place. Il faut aux insoumises, une solidité psychique hors du commun pour résister au rejet, à la condamnation, au mépris, en un mot à l’anathème. 

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Associées au corps, les femmes vont utiliser les stéréotypes à leur égard afin d’occuper des places qui leur étaient refusées. Il s’agit là d’un compromis auquel les femmes sont acculées : prendre peu de place physiquement (conformité féminine) pour prendre plus de place dans les instances de pouvoir (révolte et transgression féminines).

Le jeûne “volontaire“, non issu des famines ou des guerres, a toujours existé dans l’Eglise, même si les mortifications extrêmes étaient perçues avec beaucoup de méfiance par celle-ci qui tout en combattant l’hérésie, se demandait si le jeûne extrême relevait plus du diable ou de Dieu. Lorsqu’une femme ne mangeait pas, et ne mourait pas, les autorités ecclésiastiques imaginaient sa survie comme la preuve qu’elle était nourrie de façon céleste ou par Dieu ou par Satan. Or les femmes étaient souvent accusées d’être possédées par le démon. Les femmes mystiques qui vivaient sans surveillance masculine étaient très souvent accusées d’hérésie. Nombreuses sont celles qui devaient justifier leur refus de la nourriture en montrant qu’elle n’était pas des sorcières pour éviter le bûcher.

 

En fait, peu de femmes ont convaincu les autorités religieuses que leur jeûne était le signe de Dieu et non du diable.

 

L’ascétisme pratiqué par les mystiques était distinct entre les sexes car les mortifications étaient plus nombreuses et prononcées chez les femmes obnubilées par la symbolique de leur corps . Se conformer au modèle de sainteté et de pureté féminine au Moyen Age à travers le jeûne, permettait de se propulser dans des positions de pouvoir détenu par des hommes au sein de la sphère religieuse, mais pour cela il fallait se laver de la sexualité et de la nourriture contre les péchés de frivolité et de désir sexuel, afin de discipliner l’esprit en châtiant la chair.

 

Plus de 80 % des personnages de la Bible sont des hommes souligne Odon Vallet et précise qu’en entrant au couvent, une femme prend ses distances d’avec les hommes, [...] pour le quotidien, elle dépend d’une supérieure du même sexe. En ce sens, les couvents représentèrent les premières institutions “féministes” (15).

 

L’entrée au couvent ou dans un regroupement religieux reste une manière pour les femmes de gagner la considération de leurs pairs, d’être reconnues socialement, d’obtenir une meilleure éducation et instruction, tout en se dégageant du joug familial, marital patriarcal et des dangers de la maternité.

 

Catherine de Sienne née en 1347, sainte mystique, en mortifiant son corps et en refusant de manger exprime son refus des rôles “féminins” ainsi que son souhait de dépasser les limites imposées à son sexe. Elle s’insurge contre l’autorité et son statut de “marchandise négociable”, se coupe les cheveux, symbole du désir sexuel au Moyen Age, en vue de contrôler un peu plus sa vie, et déclare prendre pour époux le Christ, car elle veut obéir à Dieu et surtout pas aux hommes. Elle va alors s’infliger des souffrances extrêmes, et rejoindra le Tiers Ordre de la Pénitence, un groupe de femmes laïques vivant chez elles. Catherine de Sienne écrit, correspond avec les papes Grégoire XI et Urbain V, s’exprime publiquement, exerce une influence politique et religieuse, se bat pour réformer l'Eglise et possède une formation théologique solide.

 

Or s’accorder ce genre de libertés est rare pour une femme de son époque. Ce mélange d’obéissance totale aux préceptes christiques, de fidélité et de rébellion, lui permet d’accéder à un certain pouvoir. Dieu devient sa nourriture. Vivre en dehors des conventions devient très dangereux, et laisse dans une précarité absolue. Dès l’enfance, elle se prive de viande, à l’adolescence, elle ne consomme que de l’eau, des légumes et du pain, devenue adulte, elle se nourrie d’herbes crues et d’hosties, se fait aussi vomir jusqu’à sa mort en 1380. Son refus de s’alimenter reflète la protestation contre le manque de contrôle sur son existence, l’envie d’intégrité corporelle, et surtout le refus d’abandonner son corps pour pouvoir en disposer, de sorte qu’elle puisse contrôler sa propre destinée, mais à quel prix ! Elle se flagelle avec une chaîne de fer, ne dort plus qu’une demi-heure tous les deux jours, boit le pus des plaies des malades qu’elle soigne pour surmonter la répulsion de la maladie. La mortification doit ainsi soumettre le corps à l’âme pour développer la vertu. Il faut se séparer du corps pour se libérer de la souffrance en même temps que la souffrance est utilisée pour se libérer du corps.

 

Catherine de Sienne souscrit à l’idéologie religieuse judéo-chrétienne de la domination masculine qui rend le corps féminin démoniaque, problématique, impur, souillé par le sang menstruel (16), négatif et dépossédé, dans le but de taire la menace de la dissidence, et tout en poussant la logique de cette idéologie à l’extrême, elle tente de se débarrasser de la lourdeur du corps pécheur.

 

Catherine de Sienne était loin d’être la seule a pratiqué le jeûne extrême. Ce comportement traduit la situation insupportable et inextricable dans laquelle étaient plongées des femmes mystiques en train de jeûner et qui voulaient occuper une place dans les structures religieuses pour mieux rejeter un destin terrifiant, et déjà tout tracé.

En mortifiant le corps, les mystiques se punissent, offrent à Dieu leur souffrance et expriment leur soif ou leur faim insatiable de l’âme pour l’union mystique.

 

Ainsi utiliser le corps comme support de révolte permet-il de recouvrer une certaine “liberté” et “dignité” et surtout de comprendre l’érotisation de la souffrance à travers le jeûne et l’effacement de tout signe de féminité corporelle afin de devenir pur esprit, donc d’accéder à la transcendance, qui tôt ou tard mène à la mort, à la destruction de soi.

 

En ce sens, ces femmes mystiques exprimaient ce que leur corps étaient pour elles, cette fuite hors du corps traduisant avant tout la plainte d’un corps accablé de multiples interdits et de devoirs. Si tout ordre politique va de pair avec un ordre corporel (17), du corps naît des significations, des langages où se disent implicitement des protestations sociales, politiques et des désirs.                                                    

 

          

 

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 Notes

(1) Kate Millett, Sexual Politics, Doubleday and Company, Inc. New York, traduit en français sous le titre La politique du mâle, Stock, 1971.

(2) Eugène Enriquez, De la horde à l’État, essai de psychanalyse du lien social, Gallimard, 1983.

(3) Michèle Le Doeuff, Le sexe du savoir, Alto Aubier, 1998. Dans cet excellent ouvrage, M. Le Doeuff développe le concept «d’acognition masculiniste» pour mettre en lumière les raisonnements spécieux des mythes philosophiques et psychanalytiques qui tentent d’expliquer la domination masculine.

(4) Françoise Collin, Évelyne Pisier, Eleni Varikas, Les femmes de Platon à Derrida, anthologie critique, Plon, 2000.

(5) Juliette Minces, La femme voilée, l‘Islam au féminin, Calmann-Lévy, 1990.

(6) Françoise Héritier, Masculin/Féminin, La pensée de la différence, Odile Jacob, 1996.

(7) Chahla Chafiq et Farhad Khosrokhaver, Femmes sous le voile - Face à la loi islamique, Le Félin, 1995.

(8) cité par Juliette Minces, Le Coran et les femmes, Hachette littératures, 1996.

(9) Élisabeth Parmentier, Les filles prodigues, Défis des théologies féministes, Labor et Fides, 1998.

(10) Lorsque les femmes parlaient publiquement, elles risquaient la moquerie, le viol ou la mort sur le bûcher.

(11) Lydia Flem, «Opéra : délices de l’oreille, voix de la séduction», in Cécile Dauphin et Arlette Farge (Sous la direction de), Séduction et sociétés, approches historiques, Seuil, 2001.

(12) M.Poizat, La voix du diable. La jouissance lyrique sacrée, Métailié, 1991.

(13) Pauline Bebe, Isha, Dictionnaire des femmes et du judaïsme, Calmann-Lévy, 2001.

(14) Nathalie Fraise, L’Anorexie mentale et le jeûne mystique du Moyen Age. Faim, foi et pouvoir, L’Harmattan, 2000.

(15) Odon Vallet, Déesses ou servantes de Dieu ? Femmes et religions, Découvertes Gallimard, 1994.

(16) Du sang et des femmes. Histoire médicale de la menstruation à la Belle Époque, Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti, in CLIO, Festins de femmes, N°14, PUM, 2001.

(17) Jean-Marie Brohm, Corps et politique, Delarge, 1975.

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 Références

Auteure : Marie-Anne JURICIC

Titre : Corps féminin, religion et société

Revue : ProChoix, N°29 été 2004, p.100-109.

Site : http://planetefeministe.e-monsite.com

 

 

         

 

 

 

      Marie-Anne  JURICIC        

     Transmettre et repenser le féminisme

 

 A la question qu’est-ce qu’être féministe aujourd’hui ? Je pourrais répondre tout simplement, dans un premier temps, que c’est oeuvrer à la construction de l’égalité des sexes au sein d’un paysage politique démocratique et laïque. C’est continuer le combat, déjà amorcé par les générations de féministes qui m’ont précédée, c’est lutter en faveur de la liberté dans une perspective féministe qui s’organise autour de l’idée de l’égalité sexuelle afin de ne pas se fourvoyer dans les dédales d’une liberté d’expression qui s’apparente davantage à une liberté d’oppression, et qui pourrait par exemple, justifier l’injustifiable, comme la revendication de se prostituer, de se voiler ou de se soumettre à l’idéologie machiste.

Être féministe consiste également à dénoncer la lapidation, l’excision, la répudiation, les mariages forcés, les crimes d’”honneur”, la prostitution, le voile, la banalisation des insultes, des violences et des discriminations sexistes, à critiquer le langage non-universel androcentré et misogyne qui continue d’appeler “l’homme” l’espèce humaine ou qui parle au masculin en étant convaincu d’être dans le neutre. C’est se mobiliser contre une citoyenneté tronquée, des inégalités de salaires criantes et contre toutes les agressions sexuelles. Et enfin, c’est veiller à ce que les acquis, chèrement et durement conquis, comme le droit à la contraception, à l’avortement, à l’égalité devant l’emploi et de façon générale, les lois en faveur de l’égalité des sexes qui condamnent toutes discriminations et attitudes de domination ou d’intimidation, ne soient pas spoliés mais respectés. Et plus récemment, c’est lutter contre le voile islamique, notamment mais pas seulement, en étant favorable à la loi contre les signes religieux ostensibles votée en mars 2004, car l’affaire du foulard ou du voile dans les établissements scolaires demeure une question politique et un choix de civilisation.

 

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 Dans un second temps, et plus personnellement, ce qui me tient à cœur en tant que féministe, c’est la question de la transmission du savoir et de la réflexion féministes. Transmettre les savoirs, les travaux et les interrogations féministes comme j’aime le faire dans mon émission de radio, constitue pour moi quelque chose de primordial car je reste convaincue qu’être féministe aujourd’hui, c’est faire connaître, au-delà des cercles restreints issus du microcosme universitaire et/ou militant, la richesse féministe à un public plus large afin que tous les efforts déployés, concernant l’élaboration de la théorie féministe et son action politique, n’aboutissent pas à une impasse, à un discrédit ou à l’oubli.

Ainsi, médiatiquement, la question de l’égalité des sexes ne doit plus être marginale mais fondamentale, d’autant que les féministes, en dénonçant et démontant les mécanismes d’oppression et de domination entre les sexes, ont engendré, sans commettre de crimes ni de massacres, une “révolution” ou plutôt une transmutation sociale, politique, anthropologique, sexuelle et culturelle, totalement inédite dans l’histoire de l’humanité.

 

Mais la transmission pose aussi la question de la généalogie et de l’évolution de la pensée féministe. Les femmes ont un passé et une histoire, qui ne se sont pas construits non sans difficulté puisque c’est grâce à l’engagement politique et intellectuel des féministes que l’histoire des femmes a pu s’esquisser, mais c’est également grâce à cet engagement et à cette quête du savoir, que l’histoire des féminismes a pu s’écrire.

 

L’exclusion de la pensée féministe du monde savant a longtemps été de mise du fait de la marginalisation des femmes dans l’histoire et cette exclusion oblige à repenser l’organisation du savoir même.

 

Depuis 30 ans, l’étude sur les femmes, sur le genre, sur les rapports sociaux de sexe ou la différence des sexes s’est développée, de plus en plus imposée même si la légitimité de la variable “sexe” ou la légitimité des études sur la différence des sexes ou sur le genre pose encore certains problèmes et ne va pas de soi dans le monde de la recherche ou plus précisément dans l’institution universitaire.Toujours est-il que l’introduction de la différence des sexes, du genre au sein des sciences humaines renouvelle la connaissance, enrichit le savoir, rectifie pas mal d’aberrations et apporte de nouveaux concepts, de nouvelles problématiques, de nouvelles approches et de nouveaux centres d’intérêt.

 

Ne pas prendre en compte la variable “sexe” et le rapport femme-homme dans l’étude des disciplines, n’est-ce pas prendre le risque de la distorsion du savoir ou de la méconnaissance ? Ne pas mettre en cause le paradigme du masculin/neutre permet-il vraiment d’accéder à la compréhension de la réalité sociale entre les femmes et les hommes ? Non.

 

Nombred’intellectuels qui émaillent le champ de la recherche et l’institution universitaire, refusent de s’enquérir de la connaissance sexuée du monde social et politique et du savoir circonstancié de la recherche féministe. Réintroduire les femmes là où les hommes représentaient le sujet, leur pose problème manifestement et c’est ainsi qu’ils confondent sans vergogne, en véritable contempteur, l’être humain avec l’être de sexe masculin. Être féministe, c’est donc rendre légitime et banale, la question des sexes au sein du monde scolaire, universitaire et académique.

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Dans un troisième temps, je répondrai qu’être féministe, pour moi, aujourd’hui nécessite de s’interroger sur les mutations récentes de la société et du monde, ce qui d’emblée soulève à nouveau, ce que Geneviève Fraisse appelait La controverse des sexes qui d’ailleurs risque de se transformer en controverse du féminisme.

Deux questions principales émergent alors :

 

1) celle de la définition du féminisme. Qui est féministe ? Qui ne l’est pas ?

2) comment analyser la situation politique nationale et mondiale de notre époque contemporaine ?

 

L’historiographie du féminisme est marquée par de vives controverses opposants les définitions du mouvement féministe. Comment peut-on définir, classer et dater le féminisme afin de constituer une mémoire et de transmettre une histoire ? Parce que l’on sait que le mouvement féministe a épousé diverses formes, s’est structuré et organisé de façon nationale, internationale ou locale ; différents courants idéologiques ont traversé ce mouvement, qu’il s’agisse de féminisme égalitaire, universaliste ou de féminisme différentialiste, maternaliste ou aussi de féminismes radical, matérialiste, réformiste, révolutionnaire, socialiste.

 

La pluralité des engagements individuels et collectifs confirme l’existence de féminismes distincts qui se nourrissent d’influences politiques, philosophiques et idéologiques diverses. C’est d’ailleurs, à partir de cette hétérogénéité, parfois extrême, que naissent les conflits, les scissions, les ruptures houleuses et définitives.

 

Ces déchirements posent la question de la définition du féminisme et de sa cohérence ainsi que de son action dans le champ du politique. En effet, jusqu’où le féminisme ou plutôt les féminismes peuvent-ils être pluriels ? N’y a-t-il pas quelques dangers à se perdre dans les méandres du relativisme culturel ou du postmodernisme, au nom d’une complexité de la réalité ? Peut-on être féministe et essentialiste, au nom de la contradiction ? Peut-on être féministe et ne pas condamner la prostitution, le voile islamique, la répudiation ou l’excision, au nom de la liberté d’opinion ? Une théologie féministe a-t-elle un sens dans l’univers patriarcal des religions ? Et méconnaître ou sous-estimer les mutations récentes de la société et le danger du fondamentalisme et de l’islamisme que subissent nombre de femmes, n’est-ce pas problématique pour les féminismes ?

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En ces temps de désarroi, de trouble, de confusion où l’actualité ne cesse de mettre en lumière les obscurantismes, les fondamentalismes, la résurgence de l’antisémitisme et le terrorisme, nous constatons une réelle fracture de l’Histoire qui fut marquée par l’attentat contre les tours jumelles de Manhattan, le 11 septembre 2001.

Dans le livre “Féminismes et nazisme”, Liliane Kandel insiste sur les mutations récentes de la société et sur les dangers des fondamentalismes, notamment l’islamisme et sur ses violences à l’égard, entre autres, des femmes qui refusent le joug patriarcal. Nul doute, qu’on assiste bel et bien à un phénomène politique, géopolitique et historique, difficilement séparable, comme le remarque L.Kandel, de la progression du fondamentalisme islamique des pays musulmans et de l’Europe.

 

Chadortt Djavann décrie et condamne l’emprise totalitaire du voile en percevant la non-réaction politique face à l’apologie du voile, comme un encouragement à la répression de toutes les femmes. Il ressort de l’analyse historique, sociologique et politique du totalitarisme, que le relativisme culturel constitue un danger notoire puisque certaines, au nom du culturalisme relativiste, arrivent à banaliser, voire à occulter ou nier la violence extrême exercée en France et dans le monde entier à l’encontre des femmes.

 

Les intégrismes de toutes les religions placent la loi divine au-dessus des lois humaines, ce qui les amènent à mépriser l’idéal démocratique, laïque et le féminisme. Tous leurs efforts convergent pour éradiquer le sécularisme. Du chaos, et non pas forcément et exclusivement des crises économiques ou de la pauvreté, les intégrismes tirent profit, en radicalisant leur dogme à des fins politiques dictatoriales.

 

Cependant, l’intégrisme et l’idéologie totalitaire ne prospèrent jamais seuls : il faut des alliances, des soutiens, des permissivités et des accords plus ou moins explicites ou implicites, pour que certains prêcheurs ou chefs idéologiques s’emparent d’un pouvoir théocratique et/ou totalitaire. Ainsi le monde économique, le tiers-mondisme, le relativisme culturel, la lâcheté, l’extrême droite, une partie de l’extrême gauche, l’anti-impérialisme et l’intérêt mutuel des intégrismes religieux pour asseoir leur pouvoir, demeurent des facteurs prépondérants de radicalisation idéologique.

 

Les premiers indicateurs qui révèlent l’imminence d’un danger politique contre les idées d’égalité et de liberté, sont la régression du statut des femmes, puis le contrôle totalitaire de la sexualité, de l’école, de la culture, et enfin une propagande qui confectionne des ennemis radicaux à éradiquer du fait d’un statut de victime réel ou supposé.

 

C’est pourquoi, je pense que les féministes auraient tout intérêt à questionner les sciences politiques, à lire ou relire Hannah Arendt, qui fut une penseuse emblématique du politique, du système totalitaire et de la démocratie, Claude Lefort et d’autres penseurs du totalitarisme, et pas seulement observer les événements à l’aune de l’histoire et de la sociologie. En guise de conclusion, je terminerai ce texte en soulignant que le féminisme n’est pas la défense de toutes les femmes, sinon le féminisme se suicide et essentialise la différence des sexes, d’autant que nombre de femmes ont toujours été et continuent d’être des actrices sociales et politiques non féministes, voire antiféministes.                                                                         

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 Références

Auteure : Marie-Anne JURICIC

Titre : Transmettre et repenser le féminisme

Revue : Travail, genre et sociétés, N°13 - Avril 2005, p.179-183, éditions Armand Colin.

Site : http://planetefeministe.e-monsite.com

 

       

  

 

 

      Marie-Anne  JURICIC      

     Femmes, journalisme et histoire

 

La thématique Femmes, journalisme et histoire demeure aussi vaste que fondamentale. Initialement, l’univers journalistique qui propose une ouverture sur le monde, questionne la Cité tout en mettant en relief l’actualité et l’information, fut un monde masculin que les femmes vont s’approprier lentement et non sans difficulté.

Dès les 18e et 19e siècles, la presse devient la forme majeure de l’expression et de la formation de l’opinion publique. Les tirages ne cessent de croître pour atteindre des sommets au début du 20e siècle. L’exercice du journalisme, qui en soi constitue un pouvoir tout en tissant des liens sociaux, signifie à la fois prendre part à la liberté de penser, d’écrire, de dévoiler, d’instruire, de débattre et de contredire.

 

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Olympe de Gouges, quien 1791, rend publique sa “Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne” dont l’article 1 stipule : “ la femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune”, comprend rapidement l’influence que peut revêtir la presse sur l’opinion publique. Elle écrit une douzaine de brochures, articles et autres imprimés qui mettent en lumière sa pensée magistrale marquée d’une part, par un caractère impétueux et déterminé, par la volonté, la générosité, la joie de vivre et l’humour, et de l’autre, par une conscience aiguë de la justice et de l’importance de son combat.

Olympe de Gouges, femme intelligente et autodidacte, a une haute idée de l’égalité pour toutes et tous, fait montre d’une volonté d’œuvrer pour le bien de l’humanité, et entend combattre tous les extrémismes. Elle fréquente les musées, les salons de peinture, lit beaucoup, s’informe dans tous les domaines, et surtout, devient pionnière pour ce qui a trait aux revendications pour les droits des femmes.

 

A travers ses publications et ses prises de position, elle exige une solide éducation pour les filles, l’arrêt des mariages imposés, le droit au divorce, la légitimation des enfants naturels, elle préconise la féminisation des noms de métier, rédige un contrat social égalitaire entre les sexes, dénonce la prostitution et les violences faites aux femmes, de même qu’elle combat sans répit, l’esclavage, la peine de mort et la misère économique.

 

Si les femmes commencent à écrire en France, dans la presse de mode, comme rédactrices ou directrices puis s’ouvrent à d’autres rubriques telles que les conseils, récits de voyage ou nouvelles, faire un journal devient aussi un mode d’expression du féminisme un peu partout en Europe au 19e siècle. On recense pas moins d’une centaine de titres en France entre 1875 et 1914, alors que ce 19e siècle exacerbe la séparation entre la sphère du public et du privé et s’appuie sur la différence des sexes, appréhendée en termes de nature, de complémentarité, de hiérarchie et de fonction sociale d’utilité.

 

L’entrée des femmes dans la sphère publique du journalisme s’inscrit donc dans le paradoxe et dans un mouvement de dialectique de l’émancipation : pourvues d’un statut mineur, les femmes s’investissent dans la presse et les associations pour obtenir un statut d’être humain à part entière, pour l’égalité des sexes et la liberté de parole.

 

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George Sand, (1804 -1876), de son vrai nom Aurore Dupin, reste questionnée par l’éthique et le souci de justice. Elle cherche sa voie à travers l’écriture et notamment à travers le journalisme et la littérature romanesque où le romantisme, les passions de la vie, le spleen, la mélancolie, le lyrisme, les paysages champêtres et bucoliques, les revendications féministes se mêlent à la révolte contre les préjugés sociaux et la misère, mais aussi à l’humanisme, au socialisme teinté d’inspiration mystique.

Pour George Sand, l’écriture demeure un des moyens pour exprimer des sentiments et des idées, pour convaincre et dénoncer et d’ailleurs elle se signale par des écrits politiques : aller vers le peuple, le comprendre, le peindre, l’aider à s’élever, l’idéaliser au nom de la démocratie, de la République et du socialisme. George Sand n’en reste pas moins éprise d’égalité et de liberté, condamnant constamment la violence d’où qu’elle vienne, les tyrannies sanglantes et l’injustice sociale et économique, voulant sans cesse alerter les consciences contre la cruauté humaine et l’hypocrisie des mœurs.

 

Lucide au sujet du pouvoir et de la fragilité de la démocratie, heurtée par les désillusions politiques et le pouvoir, George Sand reste profondément fidèle à ses convictions en déclarant que : “ Je n’ai qu’une passion, l’idée d’égalité [...] Mais c’est un beau rêve dont je ne verrai pas la réalisation. Quant à mon idée, je lui ai voué ma vie, et je sais bien qu’elle est mon bourreau”.

 

Consciente aussi de l’inégalité entre les sexes, elle dénonce le mariage en tant que système esclavagiste, souhaite que les femmes obtiennent le droit à l’éducation, à l’instruction, au savoir et les droits civils.

 

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Journaliste féministe, Marguerite Durand (1864-1936), collecte tout au long de sa vie, des publications provenant de femmes ou traitant de leur situation, ainsi que des documents très variés, tels les coupures de presse, tracts, cartons d’invitation, prospectus, textes de lois, classés dans des dossiers biographiques et thématiques. C’est elle qui créé La Fronde, le premier quotidien féministe (et pour l’instant l’unique en France) rédigé, administré et composé par des femmes, lancé à Paris en décembre 1897, ce journal mourra en septembre 1903.

Expérience sans pareille dans l’histoire du journalisme et du féminisme, et alors que les femmes journalistes n’étaient pas admises au Parlement, La Fronde , quotidien de talent, rend compte de l’actualité, est de tous les combats puisqu’il soutient Dreyfus, l’égalité des salaires entre femmes et hommes, la protection du travail, la libre disposition du salaire des épouses et traite de questions relatives à l’égalité des sexes et à la Démocratie.

 

Séverine, de son vrai nom Caroline Rémy est la première grande journaliste française qui ait pu vivre de ce métier et a dirigé Le Cri du peuple de 1885 à 1888, tout en étant l’une des premières collaboratrices de La Fronde.

 

Clémence Royer, femme de science, physicienne, traductrice de Darwin, et première femme à assurer un cours à la Sorbonne en entrant comme mathématicienne, rédige également des écrits pour le quotidien La Fronde.

 

Nelly Roussel fait paraître des articles dans La Fronde et La voix des femmes (fondé par Eugénie Niboyet en 1848) où elle exalte le libre choix de la maternité.

 

Maria Vérone née en 1874, est le première femme licenciée en droit en 1900, qui se consacre elle aussi, à la rédaction d’articles dans La Fronde, L’œuvre, en soulevant la question sensible du droit des femmes.

 

Jane Misme (1865-1935) fonde en 1906, l’hebdomadaire féministe La Française (dirigé ensuite par Cécile Brunschvicg de 1924 1939).

 

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Quant à Louise Weiss née en 1893, après l’obtention de son agrégation de lettres en 1914 et son engagement comme infirmière de guerre, elle fonde en 1918 la revue l’Europe nouvelle, appuyant la Société des Nations et militant pour une Europe unie. Pour elle, il faut jeter le féminisme dans l’arène de l’actualité, et pour ce faire, mobiliser la presse, le cinéma et la radio. Après la seconde guerre mondiale et un engagement dans la Résistance, Louise Weiss reprend sa bataille européenne, fondant en 1970 l’Institut des sciences pour la paix à Strasbourg et en entrant en 1979, à l’âge de 86 ans, au Parlement européen !

Ces femmes exceptionnelles et brillantes sont exemplaires à plus d’un titre et m’inspirent fortement dans ma quête journalistique. Leurs efforts, leur courage conjugués à leur audace, leurs réflexions et leurs actions me touchent pleinement, en particulier leur responsabilité en tant qu’actrices sociales. Je partage avec elles, ce besoin de construire le sens de l’existence dans l’enthousiasme, dans le risque et le pari de l’élévation de la conscience, dans le souci de l’éthique, de la qualité professionnelle, de la passion, de la transmission et de l’engagement qui constitue le sel, le piment de l’aventure humaine. Ce sens de la vie, qui offre d’ailleurs, le double sens de sensation et de direction, a trait autant à la saveur amère ou agréable de la vie qu’à son cheminement.

 

Nous vivons, sans conteste, une époque emplie à la fois de possibilité, de nouveauté comme de paradoxes et de contradictions. Du 20e siècle à l’orée du 21e siècle, nous avons assisté, dans le monde occidental, à un mouvement sans précédent dans l’histoire des femmes et dans l’histoire du journalisme.

 

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Depuis 8 ans, j’anime l’émission de radio Planète Féministe qui porte sur la question des femmes, des rapports sociaux de sexe, du féminisme et traite également de thèmes relatifs aux sciences humaines, sociales et politiques ou à l’actualité. Je me consacre durant 1h30, à une personne par rapport à son ouvrage, que je lis scrupuleusement dans le détail et dans le dessein de travailler et questionner méticuleusement la thématique évoquée dans le livre. Créer des liens, des rencontres, des débats autour d’œuvres intellectuelles qui amènent à réfléchir et à infléchir sur le déroulement de la vie, tel est mon objectif radiophonique.

Ce qui me tient à cœur, c’est la transmission de la mémoire, du savoir, des bilans et des leçons à tirer du passé afin de ne pas ployer sous la fatalité. Le temps présent demeure inintelligible sans passé ni mémoire. Pire, l’absence de filiation établie, et de généalogie collective et individuelle nous saisit d’effroi et nous laisse transi-e. La connaissance de la mémoire et de l’histoire s’enracine dans le besoin impérieux pour chaque être humain et pour chaque civilisation de s’inscrire et de se situer dans le temps, et de donner un sens à ses actes et à ses pensées.

 

Amnésie, oubli et indifférence envers ce qui nous précède, menacent notre liberté, notre lucidité et notre compréhension du monde.

 

C'est pourquoi, faire connaître la richesse féministe à un public plus large afin que tous les efforts déployés, concernant l’élaboration de la théorie féministe et son action politique, n’aboutissent pas à une impasse, à un discrédit ou à l'oubli, reste primordial à mes yeux.

 

Rassembler les savoirs, les témoignages, les itinéraires, les connaissances, les interrogations cumulés depuis des siècles et des décennies, permet de mesurer les évolutions théoriques et pratiques, au même titre que les impasses, les dérives, les erreurs, les errements et les polémiques qui traversent le champ politique et intellectuel.

 

Si l’expérience nous constitue, développe notre pensée, celle des autres nous enrichit, nous renforce et parfois nous ouvre les yeux sur notre condition humaine fragile et puissante, absurde et sensée, joyeuse et tragique, créatrice et destructrice. Mon travail radiophonique m’offre cette liberté, cette possibilité, ce plaisir de rencontrer l’autre dans la quintessence de sa réflexion et de partager, avec un public, les fruits de mon labeur et de cet échange fécond.

 

Ainsi lorsqu’une femme engagée en faveur de l’égalité des sexes et de la liberté, nous livre le témoignage de sa propre expérience, de son histoire et de ses mémoires singulières, personnelles qui rejoignent l’histoire sociale et collective, on se dote d’une armure et d’une armature qui permettent à chacun-e d’entre nous de franchir les différentes étapes de la vie avec un certain détachement ou apaisement, et peut-être même de comprendre nos succès et nos insuccès.

 

Aborder tous les sujets humains, qu’il s’agisse du pouvoir, de la science, de la sexualité, du travail, de l’art, de la politique, des sciences humaines, de la philosophie, de la mélancolie, des intégrismes et de l’actualité, de même que mettre en lumière des penseuses comme Germaine de Staël, Flora Tristan, Louise Michel, Rosa Luxembourg, Alexandra Kollontaï, Simone Weil, Hannah Arendt, George Sand, Olympe de Gouges, Marguerite Yourcenar et Simone de Beauvoir ou d’autres plus contemporaines comme Françoise Héritier, Michelle Perrot, Colette Guillaumin ou Geneviève Fraisse, toujours dans le souci de l’éthique et de la qualité, telle est l’ambition de ma raison et de ma passion.                                                                      

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Références

Auteure : Marie-Anne JURICIC

Titre : Femmes, journalisme et histoire

Contribution dans le cadre du Festival du SCOOP d'Angers, novembre 2005, Cholet - Théâtre.

Soirée animée par Thierry THUILLIER (Rédacteur en chef - France 2).

Site : http://planetefeministe.e-monsite.com

 

        

 

 

 

      Marie-Anne  JURICIC      

       Le Deuxième Sexe

 

“Les femmes d’aujourd’hui sont en train de détrôner le mythe de la féminité; elles commencent à affirmer concrètement leur indépendance; mais ce n’est pas sans peine qu’elles réussissent à vivre intégralement leur condition d’être humain”.

  Simone de Beauvoir

 

L’oeuvre théorique de Simone de Beauvoir (1908-1986) comprend de nombreux essais philosophiques dont le célèbre Deuxième Sexe, paru en 1949 et devenu l’ouvrage de référence du mouvement féministe mondial. Jusqu’à sa mort, Simone de Beauvoir a manifesté sous des formes diverses et innombrables sa solidarité totale avec le féminisme égalitaire contemporain.

 

L’auteure débute ainsi sa réflexion dans son essai capital sur la “condition féminine” : “J’ai longtemps hésité à écrire un livre sur la femme. Le sujet est irritant, surtout pour les femmes”. En effet, décrire, analyser son oppression, sa domination ne sont jamais choses aisées et réveillent en soi les souffrances subies et le mal-être vécu engendrés par des situations d’oppression, d’injustice, d’humiliation, etc.

 

Admettre que l’on appartient à un groupe dominé constitue déjà une étape formidable vers une libération éventuelle et surtout vers une conscientisation qui permettra ultérieurement d’énoncer des revendications égalitaires.

 

En ce sens, Simone de Beauvoir, en se lançant dans ce travail considérable et brillant a ouvert une brèche gigantesque pour les femmes de sa génération mais aussi pour les femmes issues des générations futures. Son oeuvre reste toujours d’actualité pour les pays en voie de développement. On est même en droit de penser que la situation féminine qu’elle décrivait à l’époque apparaît plus avancée que celle qui est subie en ce moment par les femmes vivant dans des pays comme l’Iran, le Pakistan, l’Afghanistan, l’Amérique Latine, l’Afrique Noire, etc.

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Le Deuxième Sexe, explique Simone de Beauvoir, c’est l’autre, par rapport au premier, à l’homme, qui se pose comme sujet et considère la femme comme objet. Cette hiérarchisation entre les sexes qui débouche sur l’oppression violente des femmes constitue avant tout une construction sociale, culturelle et politique, et ne découle en aucune sorte d’une essence ou d’une nature féminine. D’où la célèbre maxime : “On ne naît pas femme : on le devient”.

Simone de Beauvoir introduit ici une réflexion sociologique avancée qui sera mise en scène par la pensée constructionniste anti-naturaliste, base intellectuelle fondamentale de toute la sociologie.

 

Simone de Beauvoir parcourt tous les âges de la vie dans son étude de la “condition féminine” et décrit avec une lucidité extraordinaire et un ton caustique, comment les femmes en viennent à être asservies, assujetties, brimées, mutilées par un système structurel favorisant les mâles dominants, nommé système patriarcal.

 

L’auteure affirme à juste titre que : ”jusqu’ici, les possibilités de la femme ont été étouffées et perdues pour l’humanité; il est grand temps dans son intérêt et dans celui de tous qu’on lui laisse enfin courir toutes ses chances”.

 

Que dire de cette phrase superbe et véridique si ce n’est qu’elle est toujours juste malgré les avancées certaines dans la vie des femmes, que nous devons d’ailleurs toutes à la radicalité du féminisme des années 70.

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Simone de Beauvoir montre à travers son oeuvre, qui demeure un chef-d’oeuvre, que l’oppression des femmes n’est pas irréversible. Chouette, il y a de l’espoir! En effet, l’indépendance économique demeure la condition sine qua non pour échapper à la domination masculine. Pour ma part, je serai plus radicale : pour que le monde de la conscience, de la création et de l’autonomie s’ouvre aux femmes, il est nécessaire pour chacune d’entre elles que son esprit se distancie face à toutes les idéologies, les normes véhiculées par la société, la famille, les institutions, etc. Penser le monde et analyser les rapports sociaux de sexe à travers le paradigme féministe restent impératifs, la vigilance doit être de mise et la lucidité constamment en alerte. L’autonomie économique est importante mais ne suffit pas à éradiquer les formes (voire les nouvelles formes) ou les structures socialement et économiquement inégalitaires.

Autre aspect novateur et courageux de son oeuvre : la dénonciation d’une certaine misogynie des théories psychanalytiques freudiennes. Elle remarque ainsi : “j’ai dit déjà combien les psychanalystes créent d’équivoques en acceptant les catégories masculin-féminin telles que la société actuelle les définit. En effet, l’homme représente aujourd’hui le positif et le neutre, c’est-à-dire le mâle et l’être humain, tandis que la femme est seulement le négatif, la femelle. Chaque fois qu’elle se conduit en être humain, on déclare donc qu’elle s’identifie au mâle. Ses activités sportives, politiques, intellectuelles, son désir pour d’autres femmes sont interprétées comme une ‘protestation virile’”.

 

Pour ce qui a trait à la publication du livre, on ne peut que rester perplexe et révoltée quant à l’accueil du livre. Des réactions de violence, de vulgarité inouïes fusent. Simone de Beauvoir est traitée de pornographe ou de diable. Pour Albert Camus, ce livre est une insulte au mâle latin.

 

Le Deuxième Sexe déclenche toute une série de propos abjects et obscènes reflétant par là un antiféminisme et une misogynie nauséabonds qui ne supportent aucune critique radicale d’un système pour le moins inégalitaire entre les sexes. Ce qui est âprement reproché à l’auteure, c’est le chapitre sur la mère, comme par hasard ! Ses positions sur la maternité en choquent plus d’un-e. Refusant pour elle-même le rôle de mère et de femme servante confinée dans la famille, Simone de Beauvoir subit les pires attaques alors que nul ne songe à critiquer Sartre du fait qu’il n’ait pas d’enfant. Ce qui défrise les réactionnaires et certains progressistes chez Simone de Beauvoir, c’est qu’elle ne se soit en aucune manière préoccupée de la perpétuation de l’espèce humaine et qu’en plus elle ait offert à d’autres femmes, un modèle de femme plus libérée, de femme actrice prenant en main son destin.

 

Le féminisme contemporain des années 70 s’est inspiré de l’essai philosophique et politique que constitue Le Deuxième Sexe. Le livre a exercé une influence monumentale dans le monde et sur plusieurs générations de lectrices et de féministes. Si Simone de Beauvoir a été retenue comme la cheffe de file d’un féminisme radical anti-essentialiste, les thèses du Deuxième Sexe n’en demeurent pas moins parfois contradictoires, confuses.

 

En fait, on décèle dans ce livre un conflit entre le naturalisme qui apparaît dans certaines explications et une volonté farouche de l’auteure de s’en abstraire et de mettre en exergue les principes rigoureux sociologiques qui impliquent une profonde rupture avec la pensée essentialiste.Toutefois, l’ambivalence du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir est à resituer dans son contexte historique et sociologique et rappelons tout de même que de nombreuses femmes se sont retrouvées dans cet essai éclairant. Espérons que les femmes et les hommes d’aujourd’hui et des générations successives exploreront cet ouvrage féministe, source de richesse et de questionnement.                                                                      

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 Références

Auteure : Marie-Anne JURICIC

Titre : Le Deuxième Sexe

Revue :  Marie Pas Claire, N°14, été 1999, p.34-40.

Site : http://planetefeministe.e-monsite.com

Article revu et corrigé publié sur le site

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      Marie-Anne  JURICIC        

       Les femmes et le sport

 

Tout au long de l’histoire, certaines femmes ont été à l’encontre des normes sexistes établies, ont exprimé le désir de modifier les codes, les pratiques et les relations entre femmes et hommes pour parvenir à plus d’égalité, de liberté et de respect. Cette envie de s’émanciper s’est souvent juxtaposée à une volonté ferme de soulager le corps féminin de tous ses fardeaux traditionnels afin d’accéder à la pratique sportive, symbole de danger pour l’ordre et le pouvoir masculins et surtout symbole de transgressions “féministes” au 19e siècle. Je pense par exemple au modèle de “la femme en culotte” de la seconde moitié du 19e siècle, qui est née de la bicyclette, la bicyclette étant perçue comme un des instruments de libération féminine alors que le sport était jugé disgracieux, farouchement nuisible à la physiologie des femmes, en particulier pour leurs organes reproducteurs, et comme le soulignait le journaliste John Grand-Carteret, en 1899, dans son livre La femme en culotte, la pratique du sport avec ce qu’elle implique comme masculinisation du vêtement risque d’aboutir à “la confusion des sexes”.

Durant trois millénaires, le sport a été essentiellement associé à la jeunesse masculine, de plus, il fut le symbole de la référence virile. Pour la majorité des femmes, la scène sportive leur fut interdite, même si quelques sociétés se sont enthousiasmées pour les exploits athlétiques d’une minorité de sportives.

 

Par exemple en Crète, il y a de cela 3500 ans, les femmes avaient le droit de pratiquer des jeux très violents. Elles pouvaient conduire les chars, chasser et participer aux jeux tauromachiques. Autre exemple, à Sparte (IXe siècle avant JC), les filles et les garçons étaient éduqués et entraînés physiquement de façon identique, mais pour des desseins totalement divergents : les hommes devaient être préparés au service des armes, tandis que les femmes devaient l’être en vue de la maternité, car d’après la philosophie spartiate, une femme vigoureuse, solide, en bonne santé ne pouvait que donner à l’Etat des enfants forts et bien bâtis (1).

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A travers les revendications de certaines féministes de la seconde moitié du 19e siècle et du 20e siècle, le sport féminin a pu émerger au sein des sociétés industrielles et occidentales. Madeleine Pelletier (1874-1939), figure emblématique du féminisme intégral, considérait la “virilisation”(2) des femmes comme une condition sine qua non de l’égalité des sexes, militait pour le droit des femmes à l’autodéfense et était favorable au service militaire pour les femmes(3). A travers ce droit à l’autodéfense et à l’usage de la violence, elle revendiquait la pratique du sport et de l’escrime(4). Or malgré ces revendications, il y eut de fortes résistances au sport féminin.

Ainsi pour réduire et limiter efficacement la participation sportive du sexe féminin, on a eu systématiquement recours aux arguments fallacieux et naturalistes qui mentionnaient la prétendue infériorité physique absolue des femmes par rapport aux hommes. Il suffit, pour s’en convaincre, de rappeler les propos de Pierre de Coubertin (1863-1937), rénovateur des jeux Olympiques : “Le véritable héros olympique est à mes yeux l’adulte mâle individuel [...] Une olympiade femelle serait impensable, impraticable, inintéressante, inesthétique et incorrecte”(5).

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Le lourd passé historique du sport pèse encore largement sur les esprits et les pratiques sportives de chaque sexe. En effet, aujourd’hui les pratiques corporelles et sportives restent des territoires sexués où les inégalités sociales entre les individus femmes et hommes demeurent particulièrement visibles. S’interroger sur le marquage sexuel des pratiques physiques conduit à s’interroger sur les rapports qu’entretiennent femmes et hommes dans ces pratiques sportives ainsi que dans la société en général.

La crainte était et perdure toujours de voir les femmes réaliser les mêmes mouvements, les mêmes pratiques que les hommes et réciproquement. Comme si cela renvoyait à la destruction de toute hiérarchie, de tout ordre social qui se nourrit de l’inégalité entre les sexes.

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Socialisation et spatialisation sexuée 

Toute relation au corps et toute gestualité sont l’effet d’une construction sociale. Les activités physiques et sportives demeurent une voie de mise en jeu des techniques du corps. Le corps constitue non seulement la marque de l’individu mais aussi celle de son appartenance culturelle et catégorielle.

 

Les représentations idéologiques et sociales sur les sexes s’expriment de façon inconsciente pour une large partie de la population. Le sexe biologique reste conçu comme déterminant et déterminé. Le référent est une bipartition plus ou moins totale entre les sexes. Aux femmes correspond le féminin et aux hommes, le masculin. La bi-catégorisation hiérarchique entre les sexes s’effectue au profit des hommes et au détriment des femmes. Cependant les rapports sociaux qui structurent la domination masculine s’organisent aussi entre hommes. Ces derniers doivent montrer sans cesse qu’ils ne sont pas des femmes ni des homosexuels, sous peine d’être considérés comme des êtres inférieurs, méprisables ou de devenir des boucs émissaires, d’être agressés et vilipendés par les plus guerriers ou les plus machistes de la gent masculine et parfois même par certaines femmes, et de subir ainsi l’opprobre.

 

La construction sociale de l’inégalité des sexes imposée aux êtres humains organise l’oppression et la domination d’un sexe sur l’autre. La question politique fondamentale à se poser est : pourquoi le sexe donnerait-il lieu à une classification quelconque ?

 

En effet, l’appareil reproducteur des êtres humains a servi à élaborer une séparation stricte des sexes, et l’on sait que la division socio-sexuelle du travail s’accompagne d’une distribution sociale du pouvoir. Tout semble annoncer l’hétérogénéité des sexes. La différence des sexes se conçoit symboliquement et réellement, comme fondatrice de l’identité personnelle et de l’ordre social établi. Cependant, il faut une intervention constante des institutions sociales pour rappeler la distinction socio-sexuelle, et l’institution sportive joue à cet égard un rôle important.

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L’emblème de la sexualisation sociale ou de la socialisation sexuée consiste en des formes d’interventions sur le corps, destinées à mettre en scène le sexe. Les caractéristiques physiques requises d’un homme et d’une femme vont, par définition, vers la différenciation : cette hétérogénéité élaborée et imposée socialement induit surtout un corps distinct aux hommes et aux femmes, au-delà des attributs sexuels. La construction sociale du corps repose sur des techniques diverses : chaque sexe doit se construire d’une manière distincte et déterminée.

Par exemple, les ordres, les interdictions, les désapprobations parentales, sociales, scolaires, familiales, professionnelles, voire religieuses et politiques, ponctuent le comportement des enfants, des adolescents-es puis des adultes. Toutes ces injonctions et ces recommandations concernent la manière de tenir son corps, régie par un code qui détermine les normes acceptables de la tenue. La façon de mouvoir son corps dans l’activité, de le tenir dans l’immobilité, de le mettre en rapport avec les autres, de saisir les objets, reflète un apprentissage qui se réalise à travers les jeux de l’enfance et l’éducation. 

 

Ceux des garçons (comme les jeux de ballon dans l’espace) font nettement plus intervenir les pieds et les jambes que les mains. Les filles ont des jeux où les pieds comme moyen de propulsion n’interviennent quasiment jamais. Il va de soi que ces jeux constituent certainement l’un des premiers et des principaux moyens de transmettre et de façonner une tenue du corps selon le sexe. L’espace qui est ouvert aux garçons et dont ils usent librement est plus vaste, contient moins de limitations et de frontières. Ainsi, l’aisance, l’audace et l’amplitude des mouvements du sexe masculin sont considérablement plus importantes. Les différences dans l’utilisation corporelle que pratiquent les deux sexes ont manifestement des effets sur la conscience : étendre son corps ou au contraire, le restreindre, constitue un rapport au monde en actes, une façon de voir et de se comporter.

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La relation physique entretenue par les femmes et les hommes se traduit dans les faits par une relation de confrontation dissymétrique : on assiste à la mise en œuvre des apprentissages sociaux de l’éducation distincte entre filles et garçons. Les femmes minimalisent constamment leurs usages de l’espace, tandis que les hommes, eux, les maximalisent. L’aboutissement de tout cela se caractérise concrètement par un espace et une extension du corps masculin vers l’extérieur, le dehors, et pour les femmes, par le repli sur son propre espace corporel par l’évitement de la confrontation physique. Il s’agit là d’une tendance générale et majoritaire du comportement des deux sexes, il existe bien sûr des exceptions, et cette situation peut évoluer. 

Les garçons apprennent donc à se battre, à lutter et à attaquer. Ils ne craignent pas le contact brutal du corps à corps, qu’il s’agisse de mêlées de rugby(6), de sports de combat, de la boxe ou des bagarres. Le corps à corps des garçons ou des hommes s’agence avant tout dans l’espace public. L’éducation des filles a pour objet la privation ou une énorme restriction de leurs potentialités physiques. Ainsi, la construction sociale du corps des femmes se fonde sur l’évitement et sur l’absence de confrontation abrupte. L’apprentissage éducatif des filles se base sur l’interdiction de la lutte physique et du contact violent. Les femmes réalisent un contrôle sévère de leurs gestes. Elles expriment un corps à corps très distinct, opposé à celui des hommes. En fait, il se produit une canalisation de l’énergie des femmes, aux dépens de leur force musculaire.

 

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Sport et rapports sociaux de sexe 

Le sport a gardé pendant longtemps l’empreinte de “masculinité” et s’est construit sans les femmes et reste encore aujourd’hui un lieu par excellence de démonstration de la force virile. Il est constitutif de l’identité mâle. Si les femmes ont investi le monde sportif quantitativement, femmes et hommes n’optent pas pour les mêmes disciplines sportives. Et les lieux sportifs accaparés par chaque sexe sont loin d’être identiques.

Si on caricature, on peut affirmer qu’en général :

-les femmes occupent des espaces fermés, privés, réduits et à l’intérieur.

-les hommes occupent des espaces ouverts, publics, vastes et à l’extérieur.

Les images de la “féminité” et de la “virilité” aident à la construction de la réalité sociale et exercent sur nous une valeur d’attraction mimétique considérable(7). Il s’agit en fait d’incarner le plus possible le type idéal de “la vraie femme” ou de “l’homme viril”. Se défaire des préjugés ayant trait à la différence sexuelle constitue pour chaque être humain un écueil. Or le sport n’échappe pas à la socialisation sexuée, au contraire, il la renforce dans une certaine mesure. Par exemple, pour Georges Vigarello, certains sports sont des conservatoires des vertus viriles, pour Christian Pociello, des bastions d’expressions de la virilité, ou encore pour Eric Dunnig, la pratique sportive est l’un des fiefs traditionnels de la virilité(8). En ce sens, certains sports participent à la diffusion et au renforcement du système de domination des hommes sur les femmes(9). 

 

Les conditions objectives liées à l’organisation de l’institution sportive y sont pour beaucoup, de même que les valeurs qui y sont véhiculées comme l’efficacité, le rendement, la compétitivité, la combativité et l’agressivité. Le poids des imaginaires masculins reste indéniable en ce qui concerne la place accordée aux femmes dans le sport. Les femmes s’adonnent plus à des exercices physiques d’entretien ou de loisir que les hommes, mais on observe que plus les pratiques s’institutionnalisent et se codifient, moins elles exercent d’attrait sur les femmes(10). De toute façon, le sport institué demeure une modalité de pratique principalement masculine, a fortiori s’il s’agit de compétition, dans la mesure où les femmes compétitives représentent un faible pourcentage, à savoir 25% du monde de la compétition.

 

L’esthétique participe spécifiquement de l’attention particulière que les femmes portent à leur corps et à leur physiologie; de plus, les mises en jeu du corps féminin correspondent à ce que l’on attend de la “féminité”. Si les femmes se musclent, c’est dans l’espoir et le but de devenir belles et minces. Si les hommes se musclent, c’est dans l’idée d’être forts et puissants. La musculature d’un-e enfant dépend à la fois de l’hérédité et de l’exercice; puisque l’activité fabrique aussi des protéines dans les muscles, on estime qu’il existe un cycle de régénération chez l’enfant et qu’il peut y avoir une corrélation entre l’activité de celle-ci/celui-ci et la stature de l’adulte. Pendant la puberté, les muscles s’accroissent d’abord en taille et ensuite en puissance : cette puissance dépend dans une certaine mesure d’une pratique appropriée; or l’environnement de l’adolescente n’encourageant pas la pratique du sport et la mobilité, cette période a probablement un impact des plus importants sur le fait que les femmes soient en général moins puissantes(11).

 

L’image du corps influence aussi l’individu dans le choix des sports pratiqués et les sentiments d’une personne envers son corps influent sur ses performances : plus une sportive a une haute idée de ses capacités physiques et musculaires, plus elle a de chances d’obtenir des résultats bons ou excellents, et inversement, le fait de s’inférioriser ou d’avoir une conception négative de soi contribue à abaisser ou tout au moins à ne pas augmenter ses performances(12).

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Les disciplines les mieux acceptées par les femmes, en général, sont celles qui ne constituent aucun obstacle à l’idée de “féminité” et semblent être des activités qui maintiennent une frontière spatiale entre les adversaires ou qui nécessitent la présentation du corps dans une attitude esthétiquement agréable, comme la gymnastique en opposition par exemple à la lutte, la boxe ou les sports collectifs violents. Les activités impliquant un contact avec le corps de l’adversaire, l’application d’une force à un objet lourd, une propulsion du corps dans l’espace sur une longue distance ou une compétition de face-à-face sont considérées comme inaptes à développer les qualités dites “féminines”. 

Les stéréotypes sexuels gardent donc une place prépondérante dans la conception du monde sportif, même si on observe quelques évolutions. En effet, si les concepts de féminité et de masculinité se réalisent à travers une bipolarité de traits caractéristiques, ils ne constituent pas un bloc indestructible pour autant. Cependant une question majeure demeure : le sport a-t-il pour but l’entraînement à la “féminité” ou à la “masculinité” des êtres selon leur sexe ?

 

Ne devrait-il pas se préoccuper du développement physique et psychologique ainsi que du désir de bien-être de chaque individualité sportive ? Ainsi chaque sportive/f pourrait faire l’expérience de la totalité des qualités humaines lors d’activités physiques.

 

Le monde sportif est un microcosme où l’inégalité entre les sexes s’enracine dans l’idée commune de l’évidence d’une différence biologique. La division sexuelle de l’activité sportive se fonde sur une définition biologique, fixiste des sexes et illustre dans son organisation, dans sa réglementation l’universelle dichotomie biologique(13) à partir du corps sexué. Etudier les femmes et le sport renvoie nécessairement au corps, aux muscles et à la corporéité des femmes ainsi qu’à leur statut social dans la société. Or il faut rappeler que le corps des femmes sert de prétexte pour affirmer “leur infériorité” et que ce qui demeure physiquement l’apanage des femmes peut être sujet à moquerie, à obscénités, instrumentalisé voire ridiculisé. Comme le rappelait Francine Muel-Dreyfus, dans son ouvrage Vichy et l’éternel féminin : l’ordre des corps est une dimension fondamentale de l’ordre politique”.

 

Ainsi, analyser sociologiquement le corps et le sport à l’aune des rapports sociaux de sexe est une manière d’interroger la question du politique et de la liberté au sein de chaque civilisation. Car les représentations du corps constituent un ensemble d’idées, d’images, de symboles, d’émotions et de jugements de valeur qui dans toute culture servent non seulement à penser le corps mais aussi à le contrôler, ce qui a une incidence directe sur le statut social de chaque être humain femme ou homme.

 

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Notes

(1) Carole A.Oglesby, Le sport et la femme, du mythe à la réalité, Paris, éditions Vigot, 1982, p.17.

(2) L’expression est de Madeleine Pelletier.

(3) Sous la dir. de Christine Bard, Madeleine Pelletier (1874-1939), Logique et infortune d’un combat pour l’égalité, Paris, éditions Côtés-femmes, 1992, p.94.

(4) Ibid.p.93.

(5) De Coubertin Pierre, Pédagogie sportive, Paris, Vrin, 1972.

(6) Anne SAOUTER, «?Etre rugby?», Jeux du masculin et du féminin, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2000.

(7) Véronique NAHOUM-GRAPPE, Le féminin, Questions de société, Hachette, 1996, p.7.

(8) Norbert Elias, Eric DUNNIG, Sport et civilisation, la violence maîtrisée, Fayard, 1986.

(9) Frédéric BAILLETTE et Philippe LIOTARD, Sport et virilisme, éditions Quasimodo & fils, 1999.

(10) Annick DAVISSE-Catherine LOUVEAU, Sports, école, sociétés : la différence des sexes, L’Harmattan, 1998.

(11) Helen LENSKYJ, La femme, le sport et l’activité physique, éditions Ottawa, 1990.

(12) Ibid.

(13) Nicole-Claude Mathieu, L’Anatomie politique. Catégorisations et idéologies du sexe, Côté-femmes, 1991.                                  

Références 

Auteure : Marie-Anne JURICIC

Titre : Les femmes et le sport

Résumé : Ce texte est le résumé d'un article du même nom paru dans la reuve Marie Pas Claire, N°13, été 1998, p.10-14 et p.17-24. L'article en question est la synthèse d'un mémoire de Maîtrise de sociologie, Les femmes et le sport. Les rapports sociaux de sexe dans le sport, Université Denis Diderot Paris 7, 1996.

Site : http://planetefeministe.e-monsite.com 

 

          

 

 

 

      Marie-Anne  JURICIC      

       Les Garçonnes

  

L’ouvrage de Christine Bard (1), “Les Garçonnes. Modes et fantasmes des Années folles“, (Flammarion, 1998), dépeint avec brio les facettes “suspectes” de ces “femmes nouvelles” qui intriguent et fascinent la société de l’entre-deux guerres. Figure emblématique de la liberté, teintée de révolte et de transgression, la garçonne est devenue aussi une figure mythique des Années folles.

La garçonne, incarnation non sans ambiguïtés de la femme émancipée, symbolise la mode androgyne des années 1920 par la transformation des identités sexuelles et la soi-disant confusion des genres. Plus précisément, la garçonne désigne : aussi bien une jeune fille menant une vie indépendante qu’une femme habillée à la mode”, elle suggère “des mœurs affranchies de la morale traditionnelle (2)”.

 

Sans conteste, l’exemple de la garçonne montre à quel point le corps des femmes, support de valeurs, constitue un enjeu sexuel, social et politique fondamental dans les relations femmes/hommes puisque le sexisme repose sur un ensemble de discriminations qui impose une version réifiée et figée du corps des femmes. La différence des sexes est muée en inégalité et l’anatomie féminine devient le destin de chaque femme, plus généralement le destin de chacun/e est enfermé dans des “rôles féminins/masculins”, des “rôles paternels/maternels”. Ce fixisme identitaire a pour seul dessein d’asseoir deux dominations intriquées l’une dans l’autre, celle entre les sexes et celle entre les générations, et qui sont aussi redoutables l’une que l’autre.

 

Le modèle de la garçonne transgresse à la fois la classification sexuelle par le vêtement et par l’apparence physique. Contre l’apologie de l’éternel féminin, la garçonne renvoie aussi à la masculinisation des femmes qui ne cesse d’alimenter les débats virulents quant à l’émancipation des femmes et à leur place dans la société. Souvent, les esprits misogynes de l’époque aiment assimiler “la libération des femmes” à “une dépravation des mœurs” désirant ainsi réhabiliter les valeurs familialistes.

 

         Pro

 

La garçonne évoque des silhouettes nouvelles, elle a une allure sportive, porte des vêtements simples et les cheveux courts. Elle transgresse un code vestimentaire qui met en scène la différence des sexes construite hiérarchiquement. Si, peu de féministes des années 1920 sont sensibles à cette “femme nouvelle”, la garçonne séduit néanmoins quelques féministes révolutionnaires.

Madeleine Pelletier (1874-1939), féministe “intégrale”, voyait dans la virilisation des femmes une condition indispensable à l’égalité des sexes : “il faut être des hommes socialement” affirmait-elle. De ce point de vue, la garçonne représente une femme anticonformiste en quête d’identité nouvelle et rompant avec les modèles traditionnels en vue de perturber les frontières entre les genres féminin et masculin. Si Madeleine Pelletier n’est pas la première à se travestir, elle est en revanche la première en France à donner un sens politique à son geste. D’ailleurs, le port de son costume suscitera de nombreuses réactions négatives, annonçant de ce fait une certaine condamnation et contestation du modèle de la garçonne, et qui sait de l’égalité des sexes !

 

L’image de la garçonne dans la mode demeure cependant ambivalente : d’un côté androgyne, de l’autre hyper-féminine, séduisante et sensuelle. On est au cœur d’une dialectique de l’émancipation. Dans un premier temps, les désirs de transgression, de libération, d’innovation et de déconstruction du genre émergent avec ardeur, puis dans un second temps, l’imaginaire social, l’intériorisation des normes féminines et masculines rejaillissent de plus belle comme si certaines avancées s’accompagnaient systématiquement d’angoisses, de craintes d’un avenir à déterminer, à construire et non tout tracé.

 

                 Pro3

 

Toutefois souligne Christine Bard, prendre soin de soi et de son apparence constitue un des rares loisirs pour les femmes : ”ainsi se développe un narcissisme réparateur : la banalisation des miroirs et de la photographie signale ce nouveau rapport des femmes à leur image. [...] Il s’agit de se plaire et de plaire, mais aussi d’affirmer sa personnalité. Ce temps consacré à soi exige des lieux de sociabilité féminine, d’autant plus appréciés qu’ils sont rares, contrairement à ceux des hommes (3)”.

Il n’en demeure pas moins que certaines garçonnes réfractaires à toute coquetterie ont exprimé leur rébellion par le mépris des apparences et le refus de la séduction physique, préférant mettre en lumière leur être plus que leur paraître. De nombreuses intellectuelles occupent également une place centrale dans cette quête du respect de soi-même contre la chosification de leur corps.

 

         Pro4

 

L’avènement de la garçonne soulève en même temps la question politique et sexuelle de la liberté des mœurs qui a suscité de vives réactions de la part de ceux et de celles qui se réclament de l’ordre “naturel” ou d’un certain ordre moral et sexuel. La masculinisation des femmes renvoie parfois à l’homosexualité susceptible de transgresser les genres. Elle renvoie également à une révolte, à une dénonciation de l’ordre phallocratique établi et surtout à un désir social, culturel et politique de changer les rapports sociaux de sexe et les rapports humains en général, même si les femmes qui osent transgresser les codes vestimentaires ne le font pas forcément pour des raisons “politiques” ou “féministes” clairement identifiées ou assumées.

Et inversement, nombre de féministes ont refusé de faire de la norme masculine la norme commune craignant comme chez Nelly Roussel que la virilisation ne soit le reflet d’une admiration sans borne pour les hommes, loin d’être parfaits dans leur ensemble. Certaines féministes réformistes, par exemple, n’hésitent pas à condamner la garçonne. C’est ainsi que la romancière féministe Aurel, publie le premier pamphlet contre le “garçonnisme” et contre les femmes affranchies qui “copient servilement l’homme”. Cependant la “virilisation” des femmes symbolise un certain “excès” du féminisme, l’inversion ou la dé-catégorisation des genres ; l’avènement d’un possible dépassement de l’enfermement catégoriel en fonction du sexe fondé sur l’inégalité entre femmes et hommes paraît pensable.

 

           Pro5

 

Déroger aux codes vestimentaires sexués en s’appropriant les marques, les caractéristiques de l’apparence masculine expose les femmes rebelles, finalement à une répression et à une condamnation sévère.

Les enjeux politiques et sexuels sont à ce niveau de taille et très révélateurs : dans une société inégalitaire, le vêtement distingue l’ordre des sexes et des sexualités. Les privilèges du sexe masculin, socialement et politiquement construits par le système patriarcal, ne sont-ils pas mis en branle, voire en danger dans ce monde de changements et de nouveautés, symbole de l’affranchissement sexuel et de l’autonomie féminine par rapports aux hommes ? Par exemple, pour Natalie Clifford Barney : “ la vie la plus belle est celle que l’on passe à se créer soi-même, non à procréer”.

 

Si à ces débuts, la garçonne brouille les repères traditionnels et ébranle l’inégalité entre femmes et hommes, la mode garçonne en s’institutionnalisant devient banale et se normalise.

 

La passion et l’admiration pour la garçonne sont le fruit d’une soif de liberté et d’une demande de femmes venues de tous les horizons, désireuses d’émancipation. Mais dès 1929, la mode proclame le retour à ladite féminité avec tout ce qu’elle comporte d’aliénation, d’entraves à la liberté et par la suite, la période de Vichy ira en exacerbant “l’éternel féminin” et “l’éternel maternel”. Il faudra attendre les années 1960 pour que les libertés vestimentaires, sexuelles et culturelles émergent à nouveau.

 

        Pro6

 

Notes

(1) Christine Bard est professeure en histoire contemporaine à l’université d’Angers.

(2) Christine Bard, Les Garçonnes. Modes et fantasmes des Années folles, Flammarion, 1998.

(3) Ibidem.

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Auteure : Marie-Anne JURICIC

Titre : Les Garçonnes

Revue :  Marie Pas Claire, N°14, été 1999, p.43-49.

Site : http://planetefeministe.e-monsite.com 

Article revu et corrigé publié sur le site

 

        

 

 

 

          Marie-Anne  JURICIC    

 

 

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          Marie-Anne  JURICIC    

      Le monde du travail, le pouvoir économique

 

Merci d’assister et de participer à ce colloque, qui ce soir, portera sur la thématique suivante : «Le monde du travail et le pouvoir économique», étudiés et analysés à l’aune des rapports sociaux de sexe, en prenant en considération la dimension sexuée, genrée de la sphère professionnelle et économique.


Du xxe siècle à l’orée du xxie siècle, nous avons assisté à un mouvement de féminisation du salariat où la continuité de la vie professionnelle des femmes semble s’inscrire dans une démarche spontanée, logique et légitime. Et lorsque l’on mesure à la fois les évolutions, les contrastes et les paradoxes que vivent les femmes sur le marché du travail, d’un côté, nous assistons à une transformation sans précédent dans l’histoire des femmes et dans l’histoire du salariat féminin, mais de l’autre, nous observons que ces mutations majeures n’ont pas éradiqué les mécanismes de production d’inégalités de sexe, qu’il s’agisse des écarts de salaires, des différences de carrières, des ségrégations, du chômage, des sous-emplois ou des emplois précaires.


L’histoire du travail féminin est ainsi jalonnée par toutes sortes d’avancées vers l’égalité, par des stagnations, mais aussi par des régressions, des inégalités, ou qui se reconduisent, ou qui se déplacent. C’est pourquoi interroger l’activité, le travail, le chômage et le sous-emploi permet de saisir les bouleversements qui ont affecté les modalités de l’activité féminine tout en questionnant les rapports sociaux de sexe et les statuts des femmes et des hommes au sein de la société.

 

                  Lp8

En effet, jusqu’où et comment, le repositionnement des femmes sur le marché du travail et son rééquilibrage au sein de la population active ébranlent-ils les fondements millénaires et planétaires de la domination masculine ? Comment les inégalités professionnelles et économiques s’agencent-elles dans un monde où le travail est en pleine mutation, dans un univers où le chômage perdure, sévit, guette et menace un certain nombre d’individus, en fragilisant de facto une population active qui doit faire face à une économie complexe, erratique et qui se mondialise de plus en plus.


Depuis environ trente ans, l’étude sur les femmes, sur la différence des sexes, sur la construction sociale des identités féminines et masculines s’est développée et imposée de plus en plus, et les travaux de sociologues comme Margaret Maruani, Jacqueline Laufer, Danielle Kergoat ou Dominique Méda – et j’en oublie encore beaucoup d’autres –, ont non seulement montré l’importance des analyses sexuées du monde du travail, mais bien plus que cela.

           Lp11

Ces travaux ont mis en scène tout l’enjeu politique, social, économique qui existe entre les sexes à la fois dans le monde du travail et dans la société en général, puisque occuper une certaine place professionnellement, être exclue de l’emploi, être au RMI ou être au chômage, avoir un travail précaire, être considérée comme inactive ou comme une travailleuse peu qualifiée, ne regarde pas uniquement la sphère professionnelle, mais engage toute une vie, et concerne le statut social, relationnel, culturel, économique et psychologique, qui d’ailleurs soulève la question du pouvoir, de l’égalité, de la liberté et des déterminismes sociaux comme la reconduction ou la répétition des inégalités entre femmes et hommes. Et je pense de façon plus générale, que les inégalités dans le travail, les discriminations et l’absence de travail, interpellent le fonctionnement de la démocratie.


Si aujourd’hui les femmes ont massivement investi le monde du travail salarié (je rappelle que la part des femmes dans la population active s’élève à 46 %), elles n’en demeurent pas moins victimes de discriminations à l’embauche. Selon la revue Rebonds de mars 2000, près d’un quart des recruteurs avouent, lors d’un entretien d’embauche, interroger une postulante sur son projet maternel, alors que la loi l’interdit.

 

               Lp10

Le salaire des femmes est inférieur d’environ 26 % en moyenne à celui des hommes. 80 % des salaires les plus bas sont des salaires féminins. Dans les grands corps d’État, les femmes constituent à peine 15 % des effectifs alors que le taux de féminisation de la fonction publique est de 55 %. Les femmes perçoivent moins de primes que les hommes, même si elles ont globalement de meilleures conditions de travail que les hommes, vu que ceux-ci occupent plus souvent des postes professionnels plus dangereux et plus nocifs pour la santé.


Quels que soient la catégorie professionnelle, la qualification ou l’âge observé, les femmes sont plus touchées par le chômage que les hommes. En plus, le chômage féminin apparaît moins choquant que le masculin car il bénéficie d’une certaine tolérance sociale. Les femmes occupent plus souvent des emplois précaires et connaissent un taux de licenciement supérieur à celui des hommes et surtout elles sont plus souvent amenées à changer d’emploi au cours de leur vie ; un exemple : en 1999, le taux de rotation des femmes salariées était de 45,7 % contre 28,5 % pour les hommes.

 

         Lp9

Le travail à temps partiel constitue la discrimination la plus emblématique sur le marché de l’emploi : 83 % des personnes travaillant à temps partiel sont des femmes. Or ce type de travail là, signifie aussi salaire partiel, chômage partiel, et retraite partielle. Faut-il rappeler encore que l’accès en masse des femmes au monde du travail salarié ne les a pas dédouanées du travail domestique – qui reste malheureusement encore souvent (même si les choses évoluent un peu) l’apanage des femmes – et en même temps ce travail est effectué gratuitement.


Pour ce qui a trait à la concentration des emplois féminins, les femmes restent plus limitées dans leur choix professionnel que les hommes. De plus, elles sont moins présentes dans les secteurs les plus rémunérateurs : elles deviennent souvent enseignante, infirmière, assistante sociale ou occupent des emplois de personnels de service.

 

               Lp13

Si l’inégalité entre les sexes est toujours de mise dans la sphère professionnelle et économique, en revanche les cadres juridiques français et européen favorisent pourtant une égalité professionnelle, qui peine à se traduire dans les faits. La loi de décembre 1972 a instauré dans le code du travail le principe d’égalité de rémunération entre les sexes, pour les travaux de valeur égale. En 1983, Yvette Roudy, ministre des droits des femmes a fait voter une loi favorisant l’égalité entre les sexes dans tous les domaines professionnels. En mai 2001, la loi Génisson comporte un caractère obligatoire quant à l’égalité professionnelle. Mais force est de constater que les tâches domestiques et parentales pèsent sur les carrières féminines et les lois restent peu appliquées. Au niveau du cadre européen, plusieurs directives garantissent l’emploi des femmes et l’égalité des rémunérations. De plus, une directive de 1997 consacre le renversement de la charge de la preuve dès lors qu’existe une présomption de discrimination : en cas de plainte, ce sont aux employeurs de prouver que la différence de salaire est objectivement justifiée et non plus aux salariées.


L’union européenne se préoccupe aussi de la sphère domestique : la résolution du conseil de l’Europe du 29 juin 2000 consacre le principe d’un partage équilibré entre parents, pour les activités familiales et professionnelles. Enfin, des programmes spécifiques pour améliorer l’égalité entre femmes et hommes sont et peuvent être financés par l’Europe.

                Lp14

 

Pour finir, je voudrais faire référence à l’ouvrage de Pascale Molinier :L’Énigme de la femme active. Égoïsme, sexe et compassion1, aux éditions Payot, qui reste un ouvrage capital pour comprendre en quoi le travail créé l’identité sexuée. Le livre montre également que l’identité est l’armature de la santé mentale, et questionne de façon judicieuse l’articulation qui existe entre le travail féminin et le souci de l’autre, la compassion et l’éthique de la sollicitude. Plus généralement, Pascale Molinier analyse ce qu’elle appelle « les défaites de la femme active » et qui se traduisent par une crise, un épuisement, un débordement, par de la culpabilité, de la dépréciation de soi de la part de certaines femmes actives. Car être à l’écoute, répondre aux besoins d’autrui, soigner la maladie et la souffrance des plus vulnérables, être disponible à l’envi, faire face à l’agressivité, à l’impatience et aux rapports sociaux de hiérarchie, tel est souvent le travail des femmes. Or assister, soutenir, soigner, anticiper les besoins d’autrui constitue un effort et un entraînement psychologique qui résultent d’une construction sociale, mais qui a un coût en termes de santé mentale et physique.

 

   Lp19

Et les hommes dans tout cela, comment leur virilité ou leur masculinité s’agence-t-elle dans la sphère professionnelle, intime et économique ? Souhaitent-ils déconstruire les rapports d’inégalité entre les sexes ? Car les hommes doivent être convoqués aussi au premier plan, si on veut que la situation entre les sexes change.


On le voit bien, prendre en considération la dimension sexuée du monde du travail et du pouvoir économique demeure une question cruciale pour appréhender à la fois les évolutions et les inégalités entre les femmes et les hommes, mais aussi pour comprendre le politique et lutter contre les injustices sociales, économiques et politiques qui émaillent les relations entre les sexes.

 

NOTES

1 Molinier, Pascale, L’énigme de la femme active. Égoïsme, sexe et compassion, Paris, Payot (Rivages), 2003.


Marie-Anne Juricic, in Féminismes II, 2005 : des femmes et du politique, Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2006

 

   

 

 

 

      Marie-Anne  JURICIC      

    

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            Marie-Anne  JURICIC      

 

 

 

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